Depuis plusieurs années, la France et une grande partie de l’Europe font face à des épisodes de sécheresses de plus en plus intenses. Les récoltes sont impactées et l’accès à l’eau potable devient même difficile dans certains villages du sud. Le Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires informe qu’en raison du changement climatique, ces phénomènes sont et seront de plus en plus récurrents

Un cercle vicieux que l’on a du mal à interrompre : plus le sol est sec, plus il contribue à l’élévation des températures, ce qui entraîne une nouvelle augmentation de l’évaporation et donc de la sécheresse du sol. En 2022, ce phénomène a duré plus de 10 mois, entre mars et décembre, entraînant des pertes de récoltes conséquentes pour les agriculteurs.

Face à cette situation, les outils d’aide au pilotage deviennent indispensables pour gérer efficacement les ressources en eau. C’est dans ce cadre que le gouvernement, via le plan France 2030, encourage des initiatives telles que le projet EPIC.

La gestion de la ressource en eau en France

La disponibilité et plus particulièrement la répartition de l’eau deviennent des sujets importants au sein du monde agricole. Accompagner ses acteurs dans une gestion plus durable des ressources est aujourd’hui fondamental.

CGDD/SDES, 2023 – Bertrand Gaillet – ecologie.gouv

Mais la transition vers des pratiques agroécologiques peut être délicate en raison du manque d’information et d’obstacles techniques notamment. Une situation qui souligne l’intérêt des outils de pilotage, afin de permettre aux membres de la filière de produire en consommant la ressource en eau de manière innovante, en les accompagnant dans la gestion, l’optimisation et l’anticipation des flux grâce à des données scientifiques fiables et précises.

Ainsi, lorsque la France, plus grand producteur agricole européen avec plus de 83 milliards d’euros d’exportation mondiale en 2022 selon les chiffres officiels, décide d’adapter sa politique de répartition de l’eau, des approches comme la gestion optimisée de l’irrigation des cultures ou l’exploitation des couverts végétaux deviennent naturellement des pistes à explorer. C’est dans ce cadre que l’État a lancé l’appel d’offres portant sur « l’utilisation de données spatiales pour le suivi et la gestion de l’eau » dans le cadre du volet spatial France 2030 : un marché remporté par le Groupement Kermap / IGN FI / Bureau Veritas / Inrae (UMR EmmaH) / Cesbio, afin de fournir des indicateurs avancés sur ces pratiques pour la période 2024-2026.

L’irrigation des cultures, une pratique à optimiser

L’irrigation permet d’assurer des rendements agricoles réguliers, de diversifier les cultures et de se protéger contre les sécheresses. Cependant, elle entraîne des conflits d’usage causés par la concurrence entre les acteurs du secteur, qui manquent d’ailleurs d’informations et de visibilité pour assurer la répartition équitable de la ressource en eau.

Les besoins en eau diffèrent selon les cultures : le blé, cultivé en hiver et en automne, nécessite peu d’irrigation, contrairement au maïs, qui pousse en été et demande beaucoup d’eau. Les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, grandes consommatrices d’eau pour la culture du maïs, sont particulièrement concernées par l’épuisement des nappes phréatiques et l’assèchement périodique des rivières et des lacs.

Ainsi, les méthodes d’irrigation sont remises en question et l’État cherche à promouvoir une gestion plus durable de l’eau. En France, l’irrigation par aspersion est la méthode la plus utilisée : elle simule la pluie et distribue l’eau de manière uniforme. Mais elle est aussi gourmande en eau, avec des pertes par évaporation et dérive des jets d’eau dues au vent. L’irrigation par goutte à goutte est aujourd’hui favorisée : une alimentation en eau par les racines, plus précise, qui permet de doser exactement la quantité d’eau nécessaire et d’éviter la surconsommation. Mais cette pratique reste encore relativement peu développée sur les grandes cultures, en raison du coût de la transition en termes de matériel.

Les couverts d’interculture : efficaces mais complexes

Autre levier d’intervention pour protéger la ressource en eau, en particulier lutter contre les pollutions diffuses : les couverts intermédiaires. Ces végétaux installés en période hivernale structurent le sol, réduisant ce faisant les phénomènes d’érosion et de ruissellement, ce qui contribue à limiter les transferts de nitrates dans l’eau. Sans oublier les apports de matière organique issue de ces couverts, qui jouent le rôle de fertilisants naturels lorsqu’ils se décomposent.

Cette méthode, encouragée par les grands acteurs de la transition agroécologique, peut être délicate à mettre en place : couvrir ses sols entre les cultures implique d’investir du temps et de l’argent sur le terrain, d’autant plus lorsqu’il faut analyser ensuite les informations : un processus long et laborieux.

Les agriculteurs craignent parfois de s’exposer à des risques financiers, malgré les subventions mises en place dans le cadre de la PAC (Politique Agricole Commune) et les organisations agricoles manquent de données pour valoriser leur travail et de méthodes pour le faire à grande échelle.

Pourtant, des solutions existent et c’est dans cette perspective que Kermap, riche de son expertise en traitement d’imagerie satellite et en analyse spatiale, produit depuis plusieurs années des indicateurs de suivi, de la parcelle au territoire. Ces derniers ont été co-construits avec l’ONG Earthworm Foundation dans le cadre du programme Sols Vivants. Ces produits de suivi des couverts végétaux, en continu et parcelle par parcelle, sont déjà opérationnels et utilisés par des acteurs majeurs de la filière agricole comme Nestlé, Saint Louis Sucre ou Vivescia. Ils ont aujourd’hui vocation à accompagner tous les acteurs de la filière engagés dans la transition agroécologique pour la protection des sols et de la ressource en eau, en particulier les programmes d’agriculture régénératrice.

Le volet spatial France 2030 pour l’agriculture et l’eau

Le travail mené par Kermap sur les couverts d’interculture repose sur une triple expertise : la télédétection, la passage à l’échelle grâce à l’intelligence artificielle, ainsi que le traitement des données et la data visualisation. Autant de compétences qui ont convaincu les pouvoirs publics de faire confiance à Kermap dans le cadre du plan France 2030.

Cette initiative portée par le gouvernement français vise à  développer l’innovation et soutenir de  futurs champions de l’exportation à l’international.

C’est dans cette optique que le ministère de la Transition Écologique et le CNES ont lancé l’appel d’offre Hydrologie qui vise à sélectionner des projets innovants pour améliorer la gestion de l’eau en France. Ce programme encourage les propositions portant sur le suivi, la préservation et la distribution des ressources hydriques au même titre que le Plan Eau lancé en mars 2023. Ces différents programmes s’inscrivent dans une stratégie nationale visant à faire face aux défis climatiques et environnementaux. 

Dans le cadre de cet appel d’offres, le groupement mené par Kermap et IGN FI a remporté le lot « Détection des parcelles agricoles irriguées et suivi de la densité du couvert végétal pour la protection des eaux ». Kermap a ainsi pour mission de livrer des informations avancées sur l’irrigation des parcelles agricoles, ainsi que sur la durée, la nature et la densité des couverts végétaux, sur un périmètre couvrant la France métropolitaine, la Réunion et la Martinique dans un premier temps.

Études des Pratiques d’Irrigation et Couvert

Cette mission d’une durée de trois ans a débuté en janvier 2024 sous l’intitulé EPIC, pour Études des Pratiques d’Irrigation et Couvert. Les données produites dans ce cadre sont mises à disposition des services de l’État et des collectivités via une plateforme de visualisation, dans le but de les accompagner dans une meilleure répartition de la ressource en eau. Il s’agit, plus précisément, de fournir à ces acteurs des indicateurs simples d’utilisation leur permettant de mesurer l’impact des politiques publiques en la matière (programmes d’action nitrates, arrêtés sécheresse), disponibles via une source de données unique pour tous les parties impliquées dans le pilotage de la ressource en eau, année après année, et dans chaque territoire.
Le Modèle Irrigation Kermap présente une première série d’indicateurs se déclinant de façon binaire : irrigué ou non irrigué, scalables à toute maille de territoire et croisés avec l’identification de cultures. Cela permet de mesurer l’impact des différentes cultures sur la consommation en eau.

Cartographie de l'irrigation des parcelles agricoles en 2023 dans la plateforme EPIC
Carte d’irrigation des parcelles agricoles – © Kermap

La seconde série d’indicateurs concerne la Durée De Couverture (DDC). Celle-ci détaille le nombre de jours par an pendant lesquels la parcelle est couverte par un végétal vivant, et évalue la qualité de ce couvert. Les performances de l’exploitation peuvent ensuite être comparées à celles de l’ensemble du terroir ou d’un ensemble géographique donnée, à toute maille de territoire.

Cartographie de la durée de couverture par parcelle en 2023 dans la plateforme EPIC
Carte de durée de couverture des parcelles agricoles – © Kermap
Cartographie des cultures 2023 dans la plateforme EPIC
Carte d’identification des cultures à la parcelle © Kermap

Un outil fiable pour piloter la ressource en eau

Partout en France, les acteurs du pilotage territorial ont aujourd’hui besoin de ces informations, objectives, précises et actualisées en permanence pour rationaliser l’usage de la ressource en eau. C’est tout l’esprit de l’outil d’aide à la décision (OAD) EPIC : au sein d’une interface ergonomique pour proposer, il propose aux services de l’État et aux collectivités locales :

  • des données sur l’irrigation de chaque parcelle, pour repérer les zones irriguées et celles qui ne le sont pas,
  • des informations sur la durée de couverture des sols et la qualité des couvertures végétales,
  • le croisement de ces données avec l’identification des cultures par parcelle,
  • l’accès à ces informations à différentes échelles territoriales (région, département, bassin versant, zones hydrographiques, zones vulnérables, zones de sécheresse, etc.),
  • une mise à jour en continu des informations.

En cartes et en chiffres, EPIC propose ainsi des données précises et fiables pour partager les informations entre les acteurs du secteur, accompagner le dialogue et la décision publique en vue d’optimiser la gestion de la ressource en eau à l’échelle locale et nationale.

Le suivi des pratiques agricoles, depuis l’espace et sur le terrain

Afin de s’assurer de la robustesses des modèles IA utilisés pour suivre les pratiques agricoles, et donc des données produites, Kermap s’est entouré d’acteurs scientifiques reconnus dans le domaine. Pour la partie irrigation, ces travaux sont menés en collaboration avec l’UMR EmmaH (INRAE / université d’Avignon) et pour les couverts végétaux, en partenariat avec le CESBIO, pour Centre d’Études Spatiales de la BIOsphère (CNRS / CNES / / IRD / Université Toulouse III – Paul Sabatier). Son expertise en télédétection et en analyse de données satellitaires en fait un acteur précieux dans la conception de l’outil EPIC. En apportant ses connaissances scientifiques, notamment dans le secteur agronomique, CESBIO valide les méthodes de prélèvements de Kermap et Bureau Veritas.

Ces informations sur la durée de couverture et sur l’irrigation, croisées à nos données d’identification des cultures à la parcelle, permettent ensuite d’affiner l’analyse en fonction des cultures et l’interprétation des données.

Bureau Veritas est une entreprise spécialisée dans les services de test, d’inspection et de certification. Une expertise essentielle pour corroborer sur le terrain les données produites par les modèles Kermap, et améliorer encore leur pertinence et leur précision. Rompus aux missions d’inspection agricole, les experts de Bureau Veritas viennent ainsi tout naturellement compléter le dispositif EPIC.

«EPIC est un Outil d’Aide à la Décision (OAD) développé pour accompagner la rationalisation de la ressource en eau et la transition agroécologique, rappelle Sylvain Potier, Responsable d’opérations Living Ressources Bureau Veritas. En tant qu’organisme tiers de confiance, Bureau Veritas sécurise les données satellitaires et leur interprétation par l’intelligence artificielle, grâce à des observations terrain menées par ses experts. Concrètement, ces experts vérifient la présence de couverts intermédiaires – plantations entre deux cultures principales pour éviter les sols nus – afin d’évaluer la rétention d’eau, et constatent si les parcelles sont en agriculture pluviale ou irriguée. » 

Développer le suivi agricole à l’international

Car si les données EPIC sont produites dans un premier temps à l’échelle de la France, l’ambition est de porter ce savoir-faire à l’international. L’exploitation de l’imagerie satellite permet déjà de produire et d’analyser ces informations sur le monde entier, à l’instar de l’identification des cultures à la parcelle, que Kermap réalise déjà sur toute l’Europe puis 2020.

A l’issue du marché de 3 ans attribué par le CNES et le Ministère de la Transition Écologique, les solutions développées dans le cadre du projet EPIC ont donc vocation à être adaptées à l’international, perspective pour laquelle le groupement s’appuie sur IGN FI.

Acteur français de référence dans le domaine de l’ingénierie géographique avec une activité réalisée à 100% à l’international, IGN FI contribue par son expertise technique et ses ressources au rayonnement des solutions innovantes développées dans le cadre de cette mission. Cette expansion permettra de répondre à une variété de besoins, allant de la gestion durable de ressources à l’optimisation de la répartition de l’eau et ouvre de nouvelles opportunités pour une multitude d’acteurs, privés et publics, leur offrant les outils nécessaires pour piloter, sécuriser et valoriser leur transition agroécologique.