Les images satellites pour suivre le changement climatique : le cas de la sécheresse en Irak
En première ligne face au dérèglement climatique, l'Irak subit depuis deux ans un nouvel épisode intense de sécheresse qui transforme son territoire. Une évolution saisissante, observable depuis l’espace grâce au suivi par satellite proposé par Nimbo Maps.
Héritage de la guerre, tensions géopolitiques, surexploitation agricole, mauvaise gestion des ressources, et désormais sécheresse et chaleur liées au changement climatique… Les origines du phénomène sont multiples, mais le constat est sans appel : l’Irak est en voie de désertification. Enclenché depuis plusieurs décennies, l’amenuisement progressif des ressources en eau et le recul de la végétation semblent s’être encore aggravés ces deux dernières années. Un processus à l’œuvre en divers points du pays, et dont le caractère aussi rapide qu’intense est mis en évidence grâce à l’imagerie satellite, visualisable de manière évolutive sur notre plateforme Nimbo Maps. Un outil simple et ergonomique pour explorer mois après mois l’imagerie satellite Sentinel du programme européen Copernicus.
👉 Toutes les visualisations présentées dans cet article sont issues de la plateforme Nimbo Maps et basées sur l’imagerie Sentinel du programme Copernicus (2020-2022)
Cette disparition accélérée de la ressource bleue menace les populations, l’environnement, la biodiversité. Du Kurdistan au nord, aux marais de Mésopotamie au sud, en passant par le centre du pays plus urbanisé baigné par le Tigre et l’Euphrate, cette crise de l’eau en Irak n’épargne aucun territoire et fait craindre pour l’avenir du pays à moyen terme. À l’occasion de la journée mondiale contre la désertification et la sécheresse du 17 juin, nous avons voulu nous pencher sur l’impact de ces bouleversements climatiques vu depuis l’espace.
En Irak, des lacs disparaissent
Le fait devient presque banal et passe désormais inaperçu. Des étendues d’eau de dimension respectable complètement asséchées ou presque. C’est le cas du lac Hamrin (ci-dessus). Situé au nord-est de Bagdad et de Bakouba, ce réservoir artificiel est né de l’édification du barrage éponyme sur la rivière Sirwan en 1981. Il s’étendait originellement sur 340 km² et contenait 2 milliards de mètres cubes d’eau. Il n’en reste aujourd’hui presque plus rien.
Un destin prédit de longue date par les autorités locales, qui pointent du doigt leurs voisins iraniens : endiguée et détournée de l’autre côté de la frontière, la rivière Alwand, affluente de la Sirwan, n’alimenterait presque plus le lac, ainsi privé de 80% de sa capacité initiale. En Irak, la guerre de l’eau, avec l’Iran mais aussi la Turquie, est déjà une réalité.
Même sort pour le lac Sawa, à mi-chemin entre Nadjaf et Nassiriya. De cette superbe formation d’eau salée baptisée “La Perle du Sud”, ne subsistait en avril 2022 qu’un bassin asséché. En seulement deux ans, l’eau du lac semble s’être complètement évaporée, sans se renouveler, rompant avec les processus millénaires qui lui assuraient son équilibre.
Un assèchement attribué au dérèglement climatique, aux puits clandestins forés pour l’irrigation des cultures, mais aussi, selon certains experts, au déplacement des aquifères souterrains qui alimentaient le lac, à la suite de mouvements sismiques.
À ces disparitions s’ajoutent l’amenuisement quasi généralisé de l’emprise des surfaces en eau, notamment celle des lacs et réservoirs situés à l’ouest de l’axe Tikrit-Bagdad-Nadjaf. À l’image du réservoir de Qasidyah, formé par le barrage de Haditha, un ouvrage hautement stratégique pour l’agriculture mais aussi la production d’électricité.
Autre exemple : le Lac du Thartar, le plus grand du pays, lequel a perdu près de 30% de sa superficie ces deux dernières années.
Là encore, l’impact climatique vient aggraver une situation imputable à un autre épisode de guerre de l’eau. Celui dont les autorités irakiennes renvoient cette fois la responsabilité à la Turquie, accusée de multiplier les barrages en amont sur l’Euphrate et le Tigre, privant le pays d’une partie de sa ressource.
Au total, entre avril 2020 et avril 2022, l’Irak a vu ses surfaces en eau baisser de 50%, à 3.500 km², selon les calculs que nous avons réalisés sur la base des images optiques et radar disponibles sur Nimbo Maps. Un recul impressionnant, à prendre avec quelques précautions néanmoins : après un hiver 2019 très humide, la plupart des étendues d’eau du pays s’étaient amplement régénérées au printemps 2020. Reste que cette évolution frappe par sa rapidité – une baisse de 40% entre avril 2021 et avril 2022 – et son intensité. Ce chiffre de 3,500 km² est en effet le plus bas enregistré en 40 ans, si l’on se réfère à l’historique réalisé par l’initiative REACH sur la base d’images satellitaires.
Dans le sud de l’Irak, le drame des marais
Menacé de manière encore plus imminente, un joyau millénaire du sud irakien : les marais mésopotamiens. Saisie en avril 2022 par les satellites Sentinel, sur lesquels s’appuient Nimbo Maps, l’image est désolante. Dans le triangle Nassiria-Bassorah-Amarah, le recul des marais en seulement deux ans est déjà spectaculaire. Il l’est encore plus lorsque l’on s’intéresse à cette zone dans les années 60. C’est le travail abondamment documenté qu’à réalisé le Ceobs, grâce, là aussi, à l’imagerie satellite.
L’observatoire des conflits et de l’environnement liste à cette occasion les causes de ce que l’on peut, sans trop s’avancer, qualifier d’écocide. Ces zones humides n’en finissent plus d’agoniser, livrées successivement à l’exploitation pétrolière, à la guerre, à l’expansion agricole, aux aménagements punitifs et aux persécutions des “Arabes des marais” sous Saddam Hussein.
Un temps nourri par les inondations, l’espoir a fait long feu de voir renaître cet espace historique. Le réchauffement, la pollution et de la pénétration de plus en plus marquée des eaux salées du Golfe persique risquent fort de porter le coup de grâce à cet écosystème unique et luxuriant, et partant aux populations et à une culture implantées là depuis l’Antiquité.
Face à la sécheresse, l’agriculture irakienne exsangue
L’année 2022 se révèle au moins aussi chaude et sèche que 2021, et s’annonce d’ores et déjà catastrophique pour le secteur agricole irakien. Pour la deuxième année consécutive, le manque d’eau a conduit les autorités à imposer des restrictions drastiques sur l’irrigation et les mises en culture. De quoi hypothéquer la production de blé ou encore de riz ambré, spécialité de la région de Nadjaf et base de la cuisine traditionnelle irakienne, qui nécessite une couverture permanente en eau durant l’été.
Pendant ce temps, au nord du pays, que recouvre en grande partie le Kurdistan irakien, le peu de céréales que les agriculteurs sont autorisés à planter ne lève pas, dans un environnement impitoyablement sec. Les années récentes n’ont pas toutes été sèches en Irak. Ainsi de l’hiver 2019, très humide, marqué par des inondations aux abords du Tigre et de l’Euphrate, les deux artères vitales du pays.
Il faut garder cet épisode en tête lorsque l’on compare sur Nimbo Maps le printemps 2020, période faste pour les cultures, avec les deux suivants, extrêmement secs. Ce grand écart météorologique n’est pas pour rien dans la différence d’aspect saisissante observable dans le Nord du pays entre avril 2020 et avril 2022 :
Au total, les surfaces en culture irriguée en avril 2022 (11.000 km²) ont été divisées par deux comparé à avril 2020, et par quatre depuis avril 2019, selon les calculs effectués sur la base de l’activité chlorophyllienne visible sur Nimbo Maps (indice NDVI). Un état des lieux alarmant, aussi bien pour les agriculteurs privés de tout revenu, que pour les populations, dans un contexte de forte tension internationale sur les approvisionnements en matières premières alimentaires.
Au-delà des zones en culture, selon ces calculs basées sur l’indice NDVI, les surfaces couvertes par la végétation avaient chuté à 52.000 km² en avril 2022, contre 100.000 km² en avril 2020, et 138.000 km² en avril 2019. Autrement dit, en seulement trois ans, ce pays presque grand comme la France a vu disparaître près des deux tiers de ses surfaces végétalisées. Soit l’équivalent de 20% de son territoire total, déjà en grande partie désertique, ou d’un pays comme l’Autriche. Et menacé de désertification à court ou moyen terme à mesure que s’imposent les effets du dérèglement climatique.