C’est l’une des conséquences déjà observables du dérèglement climatique : des épisodes de fortes chaleurs de plus en plus fréquents et intenses en été. La tendance risque fort d’aller croissant dans les années à venir, et inquiète en particulier dans les villes, où ces séquences caniculaires se révèlent particulièrement pénibles pour la population.

L’îlot de chaleur urbain, suspect n°1

C’est une manifestation climatique connue depuis longtemps et désormais bien documentée : l’effet d’îlot de chaleur urbain, ou ICU. Il se manifeste par des températures localement plus élevées, voire beaucoup plus élevées, que dans d’autres secteurs voisins. Entre ville et campagne, mais aussi en milieu urbain. D’un quartier à l’autre, voire d’une rue à l’autre, ces hausses de températures compliquent la vie des citadins, en particulier des personnes les plus fragiles.

Pour éliminer ce phénomène ou du moins en atténuer les effets, encore faut-il le repérer et surtout le comprendre. La Ville de Troyes s’y attelle ainsi dans le cadre du Plan Climat Air Energie Territoire de Troyes Métropole. Et pour mener à bien cette mission, la municipalité s’est tournée vers un groupement d’entreprises expertes de la cartographie et de la climatologie urbaine : Kermap, HD Rain et Cereg

Connaître les zones climatiques locales

Les villes, comme ici le chef-lieu de l’Aube, ont bien sûr une petite idée des secteurs où les populations subissent les méfaits des îlots de chaleur urbains. Leurs espaces de prédilection : les zones de bâti dense, peu végétalisées, où l’air circule mal et où prospèrent les matériaux accumulant la chaleur tout en facilitant sa propagation par rayonnement thermique.

Pour en savoir plus – Îlots de chaleur urbains : comprendre le phénomène

Les îlots de chaleur urbains peuvent être identifiés par différents procédés de mesure des températures, et leur intensité quantifiée, comme nous le verrons ensuite. Mais cela n’est pas suffisant. Il est important de les contextualiser avec précision pour tenter d’en comprendre l’origine. Ce travail d’enquête préalable, c’est Kermap qui l’a mené, en réalisant une cartographie des zones climatiques locales, ou LCZ.

Troyes : cartographie des zones climatiques locales (LCZ) réalisée par Kermap

Celle-ci s’appuie sur plusieurs éléments : cartes d’occupation des sols et indicateurs de morphologie urbaine (hauteur, densité, rugosité…). Les premières sont extraites de photographies aériennes en open data, les seconds des relevés LIDAR mis à disposition par la Ville de Troyes.

L’importance de la végétation urbaine

Mais cette cartographie des zones climatiques locales implique aussi de connaître avec une grande précision la végétation urbaine. Son implantation, sa typologie (arborée, arbustive ou herbacée), sa morphologie. Et ce aussi bien dans l’espace public que privé. Problème : cette information s’avère souvent imparfaitement connue par les collectivités. Une donnée dont ne disposait pas la ville de Troyes, par exemple, et qu’a donc produite Kermap via un procédé de cartographie de la végétation urbaine désormais bien rôdé.

Ce travail repose sur une approche hybride, associant l’intelligence artificielle, pour automatiser le traitement d’images satellitaires ou de photographies aériennes, à une phase de consolidation manuelle en PIAO (Photo-interprétation assistée par ordinateur). Le procédé que nous avons utilisé, par exemple pour produire les cartes consultables en libre accès sur les sites Nos Villes Vertes et Klover.

Extrait de la cartographie de la végétation urbaine à Troyes réalisée par Kermap
Cartographie 2019 de la végétation sur la ville de Troyes par Kermap.
Zooms – à gauche : église Saint-Nizier. À droite : quartier résidentiel proche du parc des Fontaines

Cette information détaillée sur la végétation urbaine vient ainsi enrichir l’analyse multicritères qui va permettre de décrire avec précision le territoire troyen. Pas moins de 23 indicateurs ont été retenus pour élaborer 15 types de zones climatiques locales, du bâti dense de centre-ville jusqu’aux espaces verts, peu ou pas artificialisés.

Elles ont permis de dresser la carte « LCZ » présentée en début d’article, que l’on pourrait qualifier de carte de prédisposition aux îlots de chaleur en période de canicule – ou aux îlots de fraîcheur (IFU). Un outil indispensable pour interpréter les mesures de températures, mais aussi, a posteriori, pour permettre aux aménageurs de sectoriser leurs interventions.

La chaleur en ville vue du ciel

Pour identifier et quantifier les îlots de chaleur urbains, une première approche consiste à mesurer les températures de surface grâce au satellite. Un travail également réalisé par Kermap, sur des images satellites prises en période estivale entre 2016 et 2020, de jour mais aussi de nuit. On obtient ainsi une première ébauche des écarts thermiques entre ville et campagne, et au sein même de la ville.

Mais attention cependant aux interprétations hâtives. D’abord parce qu’il s’agit d’une mesure à distance. Ensuite parce que l’on parle ici de température de surface, et non de température de l’air, celle qui intéresse au premier chef les populations.

Ce premier repérage par satellite a néanmoins permis de cibler les zones où d’autres mesures de température, plus fines et plus précises, devaient être réalisées pour approfondir l’analyse. C’est le travail qu’ont mené Cereg et HD Rain.

Une carte des îlots de chaleur urbains

La mission s’est donc poursuivie par une campagne de terrain, menée durant l’été 2021. Au programme : mesures de température et d’humidité de l’air, grâce à six capteurs fixes installés en différents points d’intérêt de la Ville de Troyes.

Grâce à l’expertise dans le traitement des données météorologiques apportées par HD Rain, ces données ont permis de définir des profils de journées-types dans ces différents endroits. Elles ont également été croisées avec les données des stations Météo France et les observations satellitaires de Kermap afin de modéliser les îlots de chaleur urbains :

→ En savoir plus sur HD RAIN

Carte des îlots de chaleur à Troyes durant l'été 2021

Les îlots de chaleur urbains à la loupe

La campagne de mesures proprement dite a été réalisée par Cereg, bureau d’études spécialiste de l’aménagement urbain. Ce dernier a réalisé l’étude d’implantation du réseau de mesure, en lien avec les équipes de la ville, mais aussi des relevés mobiles de stress thermique, pour estimer les effets de la température, de l’humidité et du rayonnement solaire sur l’homme. Le tout complété par des mesures du comportement thermique des matériaux et des revêtements, notamment dans les cours d’école.

Sur la base de ces observations et analyses, Cereg a ensuite pu proposer à la collectivité des pistes d’amélioration des aménagements dans les secteurs concernés afin d’y atténuer le phénomène d’îlot de chaleur : revêtements, mobilier urbain, bâtiments…

→ En savoir plus sur Cereg

« Un outil fondamental » pour l’adaptation climatique

Autant d’éléments qui vont alimenter la réflexion de la Ville de Troyes pour adapter son territoire face aux manifestations du changement climatique.

« Cela a permis de confirmer la corrélation entre les images satellites, les données Météo France et le ressenti sur le terrain », explique dans L’Est éclair Yoann Maugard, chef du service développement durable et climat . « Cette étude nous a permis de descendre à des finesses d’analyse et de localisation très importantes », ajoute Christine Thomas, adjointe chargée de la transition écologique.

« Posséder ces données fiables sur la répartition des zones de chaleur et fraîcheur à Troyes, c’est un outil fondamental ».

(Christine Thomas dans L’Est éclair, 18 février 2022 – accès abonné)

Grâce à cette cartographie et cette caractérisation des îlots de chaleur ou de fraîcheur, la municipalité dispose en effet d’informations concrètes pour :

  • mieux identifier les secteurs de populations à risque
  • orienter sa politique d’aménagement urbain : préserver les espaces de fraîcheur via son PLU et éviter la sur-densification
  • mettre en place des actions de prévention et de communication